Bonsoir,
En effectuant des recherches sur les 71 noms inscrits sur le monument aux mort de mon village (ST PE DE BIGORRE - 65), je suis tombé sur la fiche matricule de BORDE Henri, soldat du 14 ème RI, né le 11 novembre 1888, matricule 379, bureau de recrutement TARBES.
Cette fiche matricule a attiré mon attention car BORDE Henri "a été condamné, par le Tribunal de Guerre de la 34ème Division aux Armées, le 1er avril 1915 pour abandon de poste en présence de l'ennemi, à la peine de mort". L'exécution a été suspendue. "La peine de mort a été commuée en vingt d'emprisonnement le 2 mai 1915. Le 27 mai 1915, il passe au 59ème régiment d'infanterie et "est tué à l'ennemi le 21 septembre 1915". sa fiche de décès existe sur le site MDH
En effectuant des recherches complémentaires, j'ai découvert qu'il avait quitté sa compagnie le 16 mars 1915.
Son dossier de grâce existe. il est référencé BB/24/2116 dossier N° : 1720 S15. Son nom est orthographié BORDES au lieu de BORDE, mais j'imagine qu'en temps de guerre, on ne s'embarrassait pas d'ajouter ou d'enlever un "s"....
Plusieurs questions me 'turlupinent" et j'espère que les spécialistes de ces sujets "délicats" et "sensibles" pourront m'aiguiller :
- est-il possible de consulter ce dossier et un compte-rendu du procès existe-il ? et si oui, où le trouver ? et en-a-t'on le droit ???
- la peine de mort a été commuée et il a été versé au 59ème RI. Ce régiment était-il un régiment displinaire ? Et pour les 20 ans d'emprisonnement, comment concrètement, en temps de guerre, cette peine était-elle appliquée ?
Merci d'avance pour vos réponses !
Soldat Henri BORDE, condamné à mort puis peine commuée
- patrick fort
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- Inscription : mar. avr. 08, 2014 2:00 am
- Eric Mansuy
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- Inscription : mer. oct. 27, 2004 2:00 am
Re: Soldat Henri BORDE, condamné à mort puis peine commuée
Bonsoir Patrick,
En l'état, tout porte à croire que Borde a pu contracter un engagement volontaire. Voici un cas similaire : condamné à mort pour abandon de poste en présence de l’ennemi le 22 septembre 1914, le sergent B... bénéficie d’un sursis de la part du général commandant la 41e division d’infanterie. Le 7 octobre 1914, il s'avère que « la culpabilité du sergent B... n’est pas douteuse. Mais la faiblesse d’esprit de ce sous-officier signalée par le lieutenant-colonel B... est une circonstance atténuante ; d’autre part, une exécution capitale, faite aussi longtemps après les faits incriminés, perdrait une grande partie de sa valeur au point de vue de l’exemple. En conséquence, je suis d’avis qu’il y a lieu d’accorder une commutation de peine. »
Le sergent B... est gracié le 24 octobre 1914. Condamné à 20 ans d’emprisonnement, il est écroué au pénitencier d’Aïn-Beïda le 18 janvier 1915. Admis à contracter un engagement volontaire pour la durée de la guerre, il signe le 19 juin 1916 au 133e régiment d’infanterie. Il est tué dans la Somme un mois plus tard, le 29 juillet 1916.
Bien cordialement,
Eric Mansuy
En l'état, tout porte à croire que Borde a pu contracter un engagement volontaire. Voici un cas similaire : condamné à mort pour abandon de poste en présence de l’ennemi le 22 septembre 1914, le sergent B... bénéficie d’un sursis de la part du général commandant la 41e division d’infanterie. Le 7 octobre 1914, il s'avère que « la culpabilité du sergent B... n’est pas douteuse. Mais la faiblesse d’esprit de ce sous-officier signalée par le lieutenant-colonel B... est une circonstance atténuante ; d’autre part, une exécution capitale, faite aussi longtemps après les faits incriminés, perdrait une grande partie de sa valeur au point de vue de l’exemple. En conséquence, je suis d’avis qu’il y a lieu d’accorder une commutation de peine. »
Le sergent B... est gracié le 24 octobre 1914. Condamné à 20 ans d’emprisonnement, il est écroué au pénitencier d’Aïn-Beïda le 18 janvier 1915. Admis à contracter un engagement volontaire pour la durée de la guerre, il signe le 19 juin 1916 au 133e régiment d’infanterie. Il est tué dans la Somme un mois plus tard, le 29 juillet 1916.
Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
- patrick fort
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- Inscription : mar. avr. 08, 2014 2:00 am
Re: Soldat Henri BORDE, condamné à mort puis peine commuée
Bonsoir Eric,
Tous mes remerciements pour cette instructive réponse. ainsi, Henri BORDE est-il dans le même cas de figure que le sergent B. que vous évoquez dans votre message. Ainsi, pour résumer, l'engagement volontaire pouvait "effacer" la peine d'emprisonnement quand un officier supérieur, peut-être plus compréhensif que d'autres (!), au regard des circonstances atténuantes, estimait que la peine prononcée était disproportionnée. ainsi, le 59ème RI ne serait en aucun cas un régiment disciplinaire.
Quand au procès-verbal du procès, pensez-vous qu'il existe et si oui, peut-on y avoir accès ?
Bien cordialement,
Patrick FORT
PS : Henri BORDE est né le 11 novembre 1888. Il aurait 30 ans le 11 novembre 1918...
Tous mes remerciements pour cette instructive réponse. ainsi, Henri BORDE est-il dans le même cas de figure que le sergent B. que vous évoquez dans votre message. Ainsi, pour résumer, l'engagement volontaire pouvait "effacer" la peine d'emprisonnement quand un officier supérieur, peut-être plus compréhensif que d'autres (!), au regard des circonstances atténuantes, estimait que la peine prononcée était disproportionnée. ainsi, le 59ème RI ne serait en aucun cas un régiment disciplinaire.
Quand au procès-verbal du procès, pensez-vous qu'il existe et si oui, peut-on y avoir accès ?
Bien cordialement,
Patrick FORT
PS : Henri BORDE est né le 11 novembre 1888. Il aurait 30 ans le 11 novembre 1918...
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- Inscription : jeu. avr. 24, 2014 2:00 am
Re: Soldat Henri BORDE, condamné à mort puis peine commuée
Bonsoir,les pièces de justice militaire sont consultables au terme d un delai de 100 ans.Les régiments disciplinaires ont disparu en 1812,le bataillon disciplinaire en 1870 et les compagnies de discipline en 1910.Les sections spéciales ne sont pas rattachees aux régiments que vous citez,bien qu on puisse trouver des sections de campagne dans tout RI.Cordialement.
zephyr joyeux
- patrick fort
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- Inscription : mar. avr. 08, 2014 2:00 am
Re: Soldat Henri BORDE, condamné à mort puis peine commuée
Bonsoir zephir joyeux et merci pour ces éclaircissements. j'en conclus donc que je dois pouvoir consulter ce dossier BB/24/2116 N° : 1720 S15...Mais sauriez-vous où je dois demander ? Si c'est à Vincennes, cela va être compliqué...Cordialement, Patrick
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- Messages : 873
- Inscription : jeu. avr. 24, 2014 2:00 am
Re: Soldat Henri BORDE, condamné à mort puis peine commuée
Bonsoir,Vincennes c est tres bien.C est au fort de l Est que c était complique.Toute demande doit passer par Vincennes.Enfin ,il n est pas impossible que ce soldat ait du faire,apres sa liberation,un temps d"epreuve" en "section de campagne".Cordialement.
zephyr joyeux
- patrick fort
- Messages : 53
- Inscription : mar. avr. 08, 2014 2:00 am
Re: Soldat Henri BORDE, condamné à mort puis peine commuée
Bonsoir Zephir et merci pour cette réponse. Habitant loin de Vincennes, consulter ce dossier sera compliqué je crois...Qu'entendez vous par "ce soldat a du faire après sa libération un temps d'épreuve en "section de campagne" ? Cordialement, Patrick
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- Messages : 873
- Inscription : jeu. avr. 24, 2014 2:00 am
Re: Soldat Henri BORDE, condamné à mort puis peine commuée
A la Belle Epoque,l etude du crime et des deviances sociales intéressait non seulement les juges, mais aussi les militaires et les médecins.Recopiant Lombroso a leur facon,plusieurs médecins militaires tres connus,Lacassagne,fondateur des" archives d anthropologie criminelle",Jude,Rebierre,Combes et Graulle,tous anciens des BILA,en etaient arrives a la conclusion que les militaires condamnes etaient soit des fous,inconscients du sort qui les attendait,soit des sujets affectes par des tares héréditaires.A l appui de leurs affirmations,ils avançaient les expertises psychiatriques faites a Bicêtre ainsi que les enquetes de la Gendarmerie menees au sein des familles,notamment lorsqu elle avaient trempe dans plusieurs affaires graves sur plusieurs générations.La justice americaine, elle meme, avait annonce qu elle lançait un grand travail genealogique permanent sur quelques familles de sujets représentatifs,notamment les JUKE et KALLIKAK,travail qui se poursuit encore aujourd hui.En France, en 1910,sous la pression de la Chambre des Deputes,des partis de Gauche, des syndicats et de la presse,on avait supprime les Compagnies de Discipline d Afrique,creees en 1818.Elles etaient remplacees par les Section Spéciales,situees en metropole.Mais l armee continuait a soulever le probleme des militaires condamnes a qui il restait du temps a faire,et rappelait que sur une classe plus de 50% des jeunes gens destines aux BILA y échappaient,et que sur les liberes des pénitenciers et ateliers,le chiffre pouvait atteindre 80%.Les Sections Spéciales pouvaient donc servir de formule mixte,en recevant d une part les "disciplinaires" traditionnels,d autre part les "judiciaires"qui n avaient jamais trempe dans du droit commun,et qui devaient donc regagner leur arme d origine,quitte a changer d unite bien evidemment.La Grande Guerre obligea les armees a mettre en place dans chaque armee des sections de campagne,qui permettaient d accomplir cette mission,car s il avait fallu envoyer aux BILA toute la population des nouveaux cas a traiter,on serait passe a une division entiere,absolument ingerable.L epreuve,concept qui nait a cette epoque la,consiste a placer le libere dans une petite structure ou le chef,adjudant -chef ou vieux lieutenant,teste l etat psychologique du libere,pour savoir ce que l on peut en faire,car il ne faut pas oublier que l armee ne regarde jamais du meme oeuil un homme qui a subi les foudres de la justice.Si les résultats sont bons,le sujet peut reintegrer une compagnie ordinaire;si les résultats sont mauvais,car on sait les ravages que peut provoquer chez l individu un temps de detention-chaque sujet est different-le soldat peut passer toute sa guerre en section speciale,ou bien etre dirige sur une CHR.Cordialement.
zephyr joyeux
- dominique rhety
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- Inscription : ven. déc. 31, 2004 1:00 am
Re: Soldat Henri BORDE, condamné à mort puis peine commuée
Bonjour,
le délai entre la condamnation et la commutation me semble un peu court pour qu'il y ait eu commencement d'exécution de la peine de vingt ans de prison.
A mon avis, du 1er avril au 2 mai 1915, Henri Borde a attendu le décret signant sa grâce.
Cette formalité accomplie, une suspension de sa peine pour la durée de la guerre prononcée, il a été muté dans un autre régiment pour retourner au front.
Cordialement.
le délai entre la condamnation et la commutation me semble un peu court pour qu'il y ait eu commencement d'exécution de la peine de vingt ans de prison.
A mon avis, du 1er avril au 2 mai 1915, Henri Borde a attendu le décret signant sa grâce.
Cette formalité accomplie, une suspension de sa peine pour la durée de la guerre prononcée, il a été muté dans un autre régiment pour retourner au front.
Cordialement.
Dominique Rhéty
- patrick fort
- Messages : 53
- Inscription : mar. avr. 08, 2014 2:00 am
Re: Soldat Henri BORDE, condamné à mort puis peine commuée
Bonjour Zephir,A la Belle Epoque,l etude du crime et des deviances sociales intéressait non seulement les juges, mais aussi les militaires et les médecins.Recopiant Lombroso a leur facon,plusieurs médecins militaires tres connus,Lacassagne,fondateur des" archives d anthropologie criminelle",Jude,Rebierre,Combes et Graulle,tous anciens des BILA,en etaient arrives a la conclusion que les militaires condamnes etaient soit des fous,inconscients du sort qui les attendait,soit des sujets affectes par des tares héréditaires.A l appui de leurs affirmations,ils avançaient les expertises psychiatriques faites a Bicêtre ainsi que les enquetes de la Gendarmerie menees au sein des familles,notamment lorsqu elle avaient trempe dans plusieurs affaires graves sur plusieurs générations.La justice americaine, elle meme, avait annonce qu elle lançait un grand travail genealogique permanent sur quelques familles de sujets représentatifs,notamment les JUKE et KALLIKAK,travail qui se poursuit encore aujourd hui.En France, en 1910,sous la pression de la Chambre des Deputes,des partis de Gauche, des syndicats et de la presse,on avait supprime les Compagnies de Discipline d Afrique,creees en 1818.Elles etaient remplacees par les Section Spéciales,situees en metropole.Mais l armee continuait a soulever le probleme des militaires condamnes a qui il restait du temps a faire,et rappelait que sur une classe plus de 50% des jeunes gens destines aux BILA y échappaient,et que sur les liberes des pénitenciers et ateliers,le chiffre pouvait atteindre 80%.Les Sections Spéciales pouvaient donc servir de formule mixte,en recevant d une part les "disciplinaires" traditionnels,d autre part les "judiciaires"qui n avaient jamais trempe dans du droit commun,et qui devaient donc regagner leur arme d origine,quitte a changer d unite bien evidemment.La Grande Guerre obligea les armees a mettre en place dans chaque armee des sections de campagne,qui permettaient d accomplir cette mission,car s il avait fallu envoyer aux BILA toute la population des nouveaux cas a traiter,on serait passe a une division entiere,absolument ingerable.L epreuve,concept qui nait a cette epoque la,consiste a placer le libere dans une petite structure ou le chef,adjudant -chef ou vieux lieutenant,teste l etat psychologique du libere,pour savoir ce que l on peut en faire,car il ne faut pas oublier que l armee ne regarde jamais du meme oeuil un homme qui a subi les foudres de la justice.Si les résultats sont bons,le sujet peut reintegrer une compagnie ordinaire;si les résultats sont mauvais,car on sait les ravages que peut provoquer chez l individu un temps de detention-chaque sujet est different-le soldat peut passer toute sa guerre en section speciale,ou bien etre dirige sur une CHR.Cordialement.
wahou ! quelles connaissances ! je suis époustouflé et surtout grâce à vous plus instruit ! Pour Henri Borde, je ne pense pas qu'il était un sujet a priori "dangereux" mais que les circonstances ont fait qu'il a craqué, en abandonnant son poste. Pas un cas judiciaire ou un cas potentiellement dangereux pour la société. Non, juste un pauvre gars paumé dans l'enfer...Pour preuve, cette peine de mort commuée. Mais sans vouloir polémiquer, au regard des crimes commis par les cours de justice militaire pour le moins expéditives, et les exemples sont nombreux, les vingt ans de prison étaient assurément disproportionnés...
Bien cordialement,
Patrick