Un officier devant un conseil de guerre ?

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Eric Mansuy
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Re: Un officier devant un conseil de guerre ?

Message par Eric Mansuy »

Bonsoir à tous,

Le 4 décembre 1914, dans les bois d’Hirtzbach, le 372e RI a accusé d’importantes pertes. Rien de bien original. Oui, mais voilà : les nombreux disparus auraient en fait suivi leurs officiers, qui ne semblent pas avoir fait trop de difficultés à se rendre, à en croire certains récits.

Deux premières sources, surtout, abordent les faits. La première est le JMO du Groupement Sud de la Défense Mobile de Belfort : « 4 décembre. […] L’ensemble de nos pertes dans les journées des 3 et 4 décembre sont au 372e :
Tués : 1 s/officier, 15 hommes.
Blessés : 1 s/officier, 19 hommes.
Disparus : 3 officiers (capne Templer, lt Gorse, s/lt Bouquet), 9 s/officiers, 120 hommes.
L’ennemi accuse 300 hommes de pertes. »

La seconde est le JMO du général Bernard, de la 57e D.I. : « 4 décembre 1914. […] les pertes du 372e sont très sérieuses et comprennent pas mal de prisonniers ; Richard a perdu peu de monde et a infligé de lourdes pertes à l’ennemi qui s’est retiré en désordre ; le 372e a perdu 3 officiers restés entre les mains de l’ennemi : Cne TEMPLER, Lieutenant GORSE, Ss Lieutenant BOUQUET. »

Dans la troupe, les événements ont également été connus. Raoul Trémolières les a mentionnés dans son carnet : « 6 décembre 1914 : Réveil à 5 h, nous allons, sac au dos, à Largitzen et là Odinot nous dit de rentrer. Nous ne partons qu’à midi. Mal dormi malgré la fatigue, presque épuisement. C’est la quatrième nuit dont 3 sans sommeil et un jour sans vivres. Quelle vie. J’écris une carte, remets à G... mon carnet de dessins terminé et fais ma toilette. Le cafard disparaît. Il paraît que nous avons pas mal de morts, blessés et rendus. Le capitaine Templain s’est rendu avec 61 hommes à un Allemand qui est venu lui dire : « Vous avez dix minutes pour vous rendre autrement vous êtes perdus ». Des hommes ont pourtant fui, sous les balles plutôt que de se rendre. […] »

Marcel Maire, lui aussi, y fait allusion dans Sac au dos : « 14 mai [1914]. 10 h. Le caporal Magnin, trois camarades et moi sommes désignés pour aller prendre la garde à la poudrière de Bosmont, au-delà de Danjoutin. Le lendemain, vers 5 heures du matin, je suis de faction, l’arme au pied, baïonnette au canon, devant le poste. Ayant souffert toute la nuit d’un violent mal de dents, je ne prête aucune attention à un cavalier passant à cinquante mètres sur la route. Ne lui présentant pas les armes (et pour cause), il s’avance vers moi, bride abattue et je reconnais le capitaine Templer, commandant notre 3ème compagnie à Vézelois. Appelant le chef de poste, il lui déclare que je dormais devant la poudrière et qu’il allait faire un rapport au colonel avec un motif susceptible de me faire passer devant le conseil de guerre. Sitôt de retour, vers 11 heures, à la caserne, nous sommes convoqués, Magnin et moi, à la salle de service, où se trouvent le sous-lieutenant Campet, les capitaines Coviaux et Templer, le commandant Lados et le colonel. Ce dernier, après avoir écouté les explications de Templer, me questionne à mon tour et, voyant ma joue enflée, nous renvoya Magnin et moi sans la moindre punition. Je tiens à souligner aujourd’hui qu’au cours d’un repas de l’Amicale du 172ème en 1923, je rappelais cet incident au général de Thuy. Celui-ci s’en souvenait très bien et il m’apprit qu’en 1915, Templer avait abandonné sa compagnie en Alsace et était passé à l’ennemi. Pour ce fait, il est passé en… conseil de guerre et a été condamné par contumace. »

Le dossier du capitaine, visible sur la base Léonore, nous apprend que Joseph, Gabriel, Armand, Marie, Templer a « disparu à Hirtzbach », a été « prisonnier de guerre » à compter du 4 décembre 1914, et qu’il a été rapatrié d’Allemagne le 5 mai 1918. Aucune mention d’une comparution devant un conseil de guerre ne figure dans son dossier.

Le dossier du sous-lieutenant Bouquet n’est, hélas, pas accessible sur la base Léonore.

Quant au lieutenant Gorse, il était clairement mis en cause le 20 décembre 1914, dans un courrier du général Putz, commandant le Détachement d’Armée des Vosges, au général Joffre. Putz y écrivait que cet officier s’était « rendu sans combattre et [avait] empêché ses hommes de faire leur devoir. » C’est pourquoi, « en présence d’un cas de lâcheté aussi nettement caractérisé et appuyé de témoignages probants », Putz souhaitait que Gorse soit condamné par contumace par un conseil de guerre réuni dans les meilleurs délais.

J’ignore ce qu’il est advenu de cet homme, s’il a été poursuivi (au titre de l’article 210 du CJM, je suppose), et condamné. Toute piste m’intéresse, si cela vous dit quelque chose.

Merci d’avance,
Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
Yann LE FLOC'H
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Re: Un officier devant un conseil de guerre ?

Message par Yann LE FLOC'H »

Bonjour,

Merci pour ce message intéressant.

En consultant le dossier Leonore du Cne TEMPLER, on remarque qu'il a été nommé chevalier de la légion d'honneur par arrêté d'avril 1915 soit quelques mois après sa capture.
Il a poursuivi sa carrière d'officier après la guerre et a été promu officier de la légion d'honneur en 1925.
Son dossier montre aussi qu'il a eu la croix de guerre .

Bizarre pour quelqu'un susceptible d'être passé en conseil de guerre ?

Cordialement

Yann LE FLOC'H
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Eric Mansuy
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Re: Un officier devant un conseil de guerre ?

Message par Eric Mansuy »

Bonjour Yann,

C'est bien pourquoi j'ai écrit "Aucune mention d’une comparution devant un conseil de guerre ne figure dans son dossier." Maire a fait erreur au sujet de Templer, certes, mais la question reste entière pour Gorse, voire Bouquet.

Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
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