Bonsoir à tous,
15 mars 2011 : 95e anniversaire de la mort de Paul Michel Lintier. Un hommage à cet écrivain prometteur trop tôt disparu s’imposait...
Paul Michel LINTIER
Mayenne (Mayenne), 13 mai 1893 – Arraye (Meurthe-et-Moselle), 15 mars 1916

● L’Ouest-Éclair – éd. de Caen –, n° 6.128, Vendredi 24 mars 1916, p. 3, en rubrique « Dans la Région – Laval ».

● L’Ouest-Éclair – éd. de Caen –, n° 6.132, Mardi 28 mars 1916, p. 3, en rubrique « Dans la Région – Mayenne ».

● « Guerre 1914-1918. Tableau d’honneur. Morts pour la France. », Paris, 1921, Publications de La Fare, p. 598 :

● « Anthologie des écrivains morts à la guerre 1914-1918 publiée par l’Association des écrivains combattants », Tome II, préface de José Germain, Bibliothèque du Hérisson, Edgar Malfère, Amiens, 1924, p. 520 à 523.
« PAUL LINTIER
1893-1916
Il fut un de ces nombreux étudiants qui partirent à la mort ayant à peine entrevu les joies de la vie ; un de ceux qui n’échappèrent à la tutelle de l’Université que pour être transportés, après quelques mois de caserne, vers les champs et le carnage ; un de ceux dont les remarquables dons, les généreuses pensées, les nobles espérances furent fauchés par l’obus aveugle qu’ils avaient attendu et accepté.
Le visage de Paul Lintier était à la ressemblance de son talent, vivant, clair, réfléchi. Sa jeune beauté retenait le regard. M. Henri Béraud, qui fut le compagnon et l’ami du jeune écrivain, a dit dans les pages de souvenir qui précèdent le Tube 1233, le charme malicieux et captivant de son esprit. Nous savons par lui ce que Paul Lintier fit de sa vie si courte et si pleine. Il est né à Mayenne le 23 mai 1893. L’école communale, le lycée, la faculté, sont les trois étapes de sa jeunesse. Étudiant en droit, il se sent irrésistiblement attiré vers les lettres et il lui arrive souvent de quitter les Pandectes pour les courses vagabondes à travers les rues populeuses de Lyon ou sur les quais brumeux de la Saône, attentif à recueillir dans la vie frémissante les meilleurs documents de ses futurs romans. Il fonde une revue, Le Lyon étudiant, où sont imprimés ses premiers essais, publie deux livres de contes et d’églogues paysannes, (Un propriétaire et divers autres récits, Un croquant), d’une précocité surprenante dont le réalisme implacable et l’humour campagnard rappellent la manière de Jules Renard, et consacre à son compatriote et peintre Adrien Bas une fine et pénétrante étude. A vingt ans, il rêve d’entreprendre une épopée du travail ; il trouve les titres des deux premiers livres, les Corneilles autour du Clocher et Jusqu’à la pierre noire du seuil, et puis la guerre est venue.
La guerre ! il l’attendait sans y croire dans la caserne du 44e régiment d’artillerie, où il accomplissait sa première année de service ; il avait assez de confiance en la raison du monde pour douter que l’Europe se changeât en charnier à cause de l’assassinant d’un archiduc autrichien. Mais quand il vit la France en danger, il ne fut plus qu’une âme tendue vers la frontière ; il connut alors les colères et les angoisses du peuple en armes, les baïonnettes garnies de roses et les larmes des femmes dans la lumière du 2 août... et puis les marches d’approche énervantes... le premier choc de la bataille où l’on dit adieu à la vie, l’amertume de la défaite, l’ivresse sanglante de la victoire dans les champs de la Marne... et la blessure dans le petit village de la Somme, l’hôpital, le lit... les mains des femmes, le pansement de sang noir raidi, le silence... Ah ! le silence !...
Paul Lintier, blessé, presque infirme, réclame sa place au danger. Le maréchal-des-logis repart à sa pièce, dans le décor mouvant des cagnas et des branchages de l’Hartmannweillerskopf, au Wolfskopf, où la bataille fait rage. Là-bas tonne l’écho du canon de Verdun... Là-bas c’est la côte du Poivre, le bois des Caures... Douaumont... Paul Lintier ira-t-il vers ces lieux épiques ? Non, sa pièce a l’ordre de rejoindre la position de Jeandelincourt, petit coin dont il vante la « tranquillité bourgeoise et casanière »... C’est là pourtant qu’il tombe frappé par un obus près de ses canons... Le 15 mars 1916, à vingt-trois ans, l’admirable carrière de l’écrivain soldat est achevée.
Pendant ses vingt mois de campagne, avec la sincérité objective d’un combattant, Paul Lintier n’a cessé de noter ses souvenirs ; les feuillets de son carnet de route, griffonnés au crayon et tachés de son propre sang, sont devenus Ma Pièce et le Tube 1233. Ma Pièce parut aussitôt après sa mort ; il eut la joie d’en corriger les épreuves avant que l’obus l’atteignît. Du jour au lendemain son nom devint célèbre ; toute la presse française et alliée salua le talent subtil et coloré du narrateur. M. Edmond Haraucourt écrivit pour Ma pièce une préface émue. La Société des gens de Lettres honora du sociétariat la mémoire de son auteur. L’Académie couronna le livre, l’Humanité le publia en feuilleton, et la ville de Lyon donna à une de ses rues le nom glorieux de Paul Lintier. Le Tube 1233, plus mélancolique et plus tendre, où sont rassemblés ses souvenirs de la deuxième campagne (1915-1916), confirma la critique et le public en leur admiration et leurs regrets.
Tous les lecteurs se plurent à reconnaître en l’auteur un maître écrivain, d’autant plus artiste qu’il s’efforçait moins de le paraître, d’autant plus captivant qu’il était plus simplement un soldat et un homme.
« Un homme dont les bras s’ouvraient pour embrasser l’humanité ». C’est ainsi que son meilleur ami le définit, c’est ainsi qu’à travers ses souvenirs Paul Lintier nous apparaît. Dans la guerre, la grande faiseuse de haine, il ne trouva que de puissantes, d’irrésistibles raisons d’amour.
Amour de la France tout d’abord, qui s’exprime avec une sobre tendresse. « Il faut avoir lutté, avoir souffert, avoir craint pour comprendre ce qu’est la Patrie. Elle est tout le charme des yeux, du cœur et de l’esprit. Elle est tout ce qui fait que l’existence vaut d’être vécue. » Mais un amour clairvoyant qui n’accepte pas le mensonge : « Pourquoi, au lieu de nous leurrer de victoires imaginaires, ne pas avoir dit : Nous avons affaire à un ennemi supérieur en nombre ; nous sommes obligés de reculer en attendant que notre concentration s’achève et que des renforts anglais arrivent... Avait-on peur de nous effrayer par le mot de retraite, alors que nous connaissons la réalité ? Pourquoi nous avoir trompés ? »
Amour de Sa Pièce vaillante, du Tube 1233 où il met toute son âme, parce que ses obus reconquièrent, en les labourant lambeau par lambeau, les vallons et les collines de la patrie.
Amour de ces gars rudes et tendres qui sont les soldats, ― de ces canonniers avec lesquels on déguste aux heures claires le chocolat au lait condensé ― du chasseur alpin rencontré un soir dont on console le cœur déchiré...
Amour de l’Amour, besoin de tendresse qui lui fait écrire ceci : « On ne demanderait pas pour endurer sans se plaindre toutes les misères de la guerre qu’une heure d’affection sûre et câline » et qui fait chanter nostalgiquement en lui les vers de Joachim du Bellay :
Quand reverrai-je hélas de mon petit village
Fumer la cheminée et en quelle saison
Reverrai-je le clos de mon humble maison
Qui m’est une province et beaucoup d’avantage ?
Amour de la Vie qui lui échappe, de la Vie dont il n’a pas cueilli les fleurs et qui lui est ravie trop tôt. « Ah ! s’il nous est donné de vivre, comme nous saurons vivre encore ! » s’écrie-t-il. Suprême mélancolie du sacrifice dont il a mesuré tout le prix, tristesse du mal irréparable que seuls « les écrivains sédentaires » pourraient ne pas trouver assez cornélienne.
Paul Lintier que je n’ai pas connu, dont la voix résonne pourtant si profonde en mon cœur, vous qui reposez parmi nos compagnons de souffrance et de gloire sur la colline lorraine, il m’est doux de proclamer la grandeur de votre offrande, de m’incliner respectueusement devant le deuil de ceux qui vous pleurent à jamais.
Mais cet hommage est-il suffisant pour les anciens combattants que nous sommes ? Nous dont la vie sera toujours lourde de votre mort, nous qui portons avec nos croix de guerre d’innombrables croix de bois plantées dans nos âmes, il importe de réaliser votre vœu de « perpétuer les visions d’épouvante pour que l’expérience des hommes serve aux autres hommes et que la guerre n’ait plus de place dans le monde de demain. »
Pierre PARAF.
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BIBLIOGRAPHIE
― Un propriétaire et divers autres menus récits, Mayenne, 1912, Brideux, éditeur.
― Un croquant, Lyon, 1913, Basset, éditeur.
― Un peintre : Adrien Bas, Lyon, 1913, L’Œuvre Nouvelle. Plaquette in-8°. Préface de Henri Béraud.
― Avec une batterie de 75. Ma pièce. Souvenir d’un canonnier. Un volume in-16. Préface d’Edmond Haraucourt. Ouvrage couronné par l’Académie française, prix Montyon. Paris, Librairie Plon.
― Avec une batterie de 75. Le Tube 1233. Souvenir d’un chef de pièce (1915-1916). Un volume in-16. Précédé de souvenirs sur Paul Lintier par Henri Béraud. Paris, Librairie Plon. [...] »
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Bien amicalement à vous,
Daniel.