Bonsoir à tous,
Émile Louis PERGAUD
Né le 22 janvier 1882 à Belmont (Doubs), disparu le 8 avril 1915 à Fresnes-en-Woëvre (Meuse).
Sous-lieutenant à la 2e compagnie du 166e Régiment d’infanterie, Matricule n° 04356, Classe 1902, n° 2216 au recrutement de Belfort [Jug. Tribunal de la Seine, 4 août 1921, transcrit le 3 sept. 1921 à Paris (XIVe)].
• Bulletin des écrivains, n° 7, Mai 1915,
p. 2, en rubrique « L’hommage aux morts ».
« Louis PERGAUD, sous-lieutenant, a disparu devant Marchéville, dans les combats du 10 au 12 avril. On l’a vu tomber, blessé, sur les réseaux de fil de fer ; il a été, dit-on, relevé par les allemands. »
• ibid., p. 3, en rubrique « Pour lire dans les tranchées ».
« — Nous retrouvons ces lettres d’écrivains :
" Je viens de passer dans la tranchée, de la boue et de l’eau jusqu’aux cuisses, les vingt-quatre heures plus dures heures de mon existence. Sans arrêt la pluie tombait et les balles aussi. Je n’ai rien. C’est un miracle. "
(Louis Pergaud) » [...]
• Bulletin des écrivains, n° 11, Septembre 1915,
p. 3, en rubrique « Pour lire dans les tranchées ».
« La disparition de Louis Pergaud.
Florian-Parmentier (*) nous communique les renseignements suivants, qu’il tient du sergent Louis Des-prez, blessé aux côtés de Pergaud dans l’attaque de la Cote 233 :
" Louis Pergaud était au repos depuis quelques jours à Haudimont, avec sa compagnie, lorsque le 7 avril, à 6 heures du soir, l’ordre arriva de partir immédiatement pour Fresnes-en-Woëvre. Il pleuvait à torrent. Arrivée à Fresnes, la compagnie se réunit au pied de la statue du général Margueritte, et les chefs de section furent appelés auprès du commandant. Celui-ci leur annonça l’attaque de la cote 233 pour 2 heures du matin. A 11 heures, l’on se remettait en route pour la tranchée d’où devait partir l’ attaque. Il fallut traverser une assez longue étendue de marais de l’eau jusqu’aux genoux. Puis, à deux heures exactement, Pergaud et ses hommes sortirent de la tranchée. Des soldats du génie avaient pour mission de faire sauter les réseaux de fil de fer au moyen de pétards à la mélinite. Les fantassins de-vaient s’élancer par les brèches dans la tranchée allemande.
Louis Pergaud conduisait la première section ; le sergent Desprez la deuxième. Il faisait une nuit très noire. Quand les assaillants arrivèrent à proximité du réseau, la fusillade commença à crépiter. Sous les balles, Pergaud et Desprez entraînèrent leurs hommes jusqu’aux fils de fer. Mais là, ils trouvèrent le réseau intact ; impossible de passer ; trompés par la nuit, ils avaient perdu la direction et obliqué hors du secteur préparé par le génie. Les hommes et leurs chefs tentèrent de se frayer un chemin quand même à travers l’entrecroisement barbelé, mais ils offraient ainsi une cible trop facile et ils prirent le parti de se coucher et d’attendre. Aux premières lueurs du jour, ils reçurent l’ordre de se replier. Le sergent Desprez fut frappé d’une balle au moment où il rassemblait ce qu’il restait de sa section. Les débris de celle de Pergaud rentrèrent seuls ; notre brave confrère avait disparu… On croit qu’il a voulu traverser le réseau et qu’il a été fait prisonnier dans la tranchée ennemie.
Il se trouvait, au moment de l’attaque, à 35 mètres du pont Saint-Pierre, à droite, en allant de Mar-cheville à Saulx. " »
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(*) Encore dit Ernest Florian-Parmentier, pseudonyme de Serge Gastein (1879~1951), écrivain, cri-tique littéraire et éditeur. Il est notamment l’auteur d’un roman intitulé : « L’ouragan. Toute la guerre du côté français » (Paris, éd. Fasquelle, 1929, 256 p. — initialement publié en 1920 aux Éditions du Fau-connier, dirigées par l’auteur lui-même).
Ernest Florian-Parmentier fut affecté, avec le grade maréchal des logis, à la 22e Compagnie du 1er Es-cadron territorial du train des équipages militaires, unité dans laquelle il demeurera jusqu’en sep-tembre 1918, date de son intoxication par les gaz.
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Bulletin des écrivains, n° 35, Septembre 1917,
p. 1, en rubrique « L’hommage aux disparus ».
« LOUIS PERGAUD
Grand, robuste, chasseur ou guerrier, Louis Pergaud était bon, très doux. Chasseur, il étudiait les bê-tes au lieu de les tuer. Guerrier, il menait ses hommes à l’assaut par l’exemple du mépris de la mort, mais il ne devait pas tirer avec plaisir, même sur le fauve qu’il était chargé d’abattre. Son large sou-rire lui donnait l’air simple et franc d’un rural égaré dans un salon et il nous apportait tout ce qui manque à nos salons de lettres : l’air pur, les appétits sains, la finesse de l’observation exempte de cette ironie insupportable qui dénature les faits. Combien de fois lui ai-je entendu dire au Mercure de France : " Je ne suis pas sur mon terrain dans un salon… ça glisse trop. J’aimerais mieux me trouver en plein champ à contempler les alouettes se prenant au miroir par rude gel." Le rude gel s’est-il refermé sur lui et la terre prend-elle sa mesure, étonnée de le voir si grand parmi les petits soldats ?
Il était droit et haut, de cette race de chefs primitifs qu’on nommait chefs parce qu’ils dépassaient les autres de tout le front et que leurs yeux étaient exercés à voir de loin
Parti soldat, il était lieutenant quand il disparut. Il m’écrivait l’autre hiver : " Ça va très bien. Je ne ferai plus la guerre des boutons ! Ma capote, c’est celle des boutonnières, tellement elle est trouée ! "
Notre prix Goncourt n’avait pas encore tenu toutes ses promesses, mais il était riche d’une inépuisable mine d’observations qu’il savait extraire de sa nature, sa marraine littéraire. Entre ses types de pay-sans et ses études de bêtes tracés fidèlement, sans aucune concession aux goûts dits du jour, il aurait creusé un sillon nouveau où l’on aurait vu se dresser une plante douée d’une âme : la vie végétative ou animale, sans transposition humaine ou scientifique, et remplaçant le langage prêté, toujours faux, par la description, le plus sincère enchaînement de circonstances naturelles n’empruntant rien à nos préoccupations sociales. C’était une entreprise difficile, à la hauteur, je crois, de ses forces.
Les lettres comptaient en lui un homme. Les armes, un chef à la fois brave et psychologue.
Et nous ?... Qui nous rendra notre camarade ? (Alfred Marchand, vous souvenez-vous ?) notre Louis Pergaud, si bon, si doux, et dont le large, le franc sourire, était pour nous comme un joyeux lever de soleil dans le clair obscur de nos réunions mondaines, toujours encombrées de personnalités… qui n’en sont pas !
Et je l’entends murmurer, de son accent de rural embarrassé, surtout embarrassé de ses grands diables de bras faits pour porter le fusil : " Allons, Madame Rachilde, voilà encore que vous exagérez ! La terre ! Faut bien l’arroser si on veut qu’elle produise. J’ai un peu saigné par les trous de ma capote…est-ce bien la peine d’en parler aux voisins ! "
Nous en parlerons toujours, Louis Pergaud.
RACHILDE. (*)
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(*) Marguerite EYMERY(11 févr. 1860 ~ 4 avr. 1953), dite
Rachilde, épouse d’
Alfred VALETTE, directeur du
Mercure de France. Romancière.