Mon intention n'est pas de recueillir d'images de gueules cassées ; je souhaite que ce sujet soit l'occasion d'échanger sur le thème de la diffusion de certaines images particulièrement difficiles à regarder en raison de ce qu'elles montrent, mais pas d'en faire l'étalage. Je pense en particulier aux images de gueules cassées telles qu'elles ont pu être montrées dans certaines discussion, pas plus tard que cette semaine.
Il s'agit aussi pour moi de tordre le cou à certaines images que l'on peut avoir sur « la jeunesse » telle que je peux les lire, trop souvent à mon goût, sur le forum. Tout est toujours plus complexe que la simplificatrice généralisation que l'on peut en faire... évidemment liée au thème dont il est question ici.
- Contexte :
Une semaine après la diffusion des images, suite à une discussion avec une collègue qui a fait le choix cette année de ne plus diffuser ces images et à un sujet sur le forum dans lequel des images de gueules cassées très dures à mes yeux ont été diffusées sans avertissement ni précaution de la part de l'auteur du message, et d'échanges sur le sujet avec d'autres membres du forum, j'ai décidé de demander leur avis sur la question à mes élèves.
Non qu'ils soient représentatifs de la population de 14/15 ans française, mais j'ai bien noté chaque année l'effet réel de la diffusion de telles images : silence immédiat dans la salle, élèves choqués, parfois demandant de quitter quelques instant la salle ou de ne pas regarder (une poignée en 10 ans). Ce choix pédagogique, je l'assume, j'estime qu'ils arrivent à un âge où ils peuvent voir, où leur esprit critique commence à pouvoir réfléchir sérieusement sur ce qu'ils voient sans créer un traumatisme. D'autant plus qu'ils ne sont pas laissés seuls face à ces images, mais que le dialogue est ouvert ensuite, des explications sont données.
Il ne s'agit donc pas de leur demander s'ils veulent plus de gore et de sensationnel, mais bien comprendre plus précisément quel est l'impact de ces images et ce que eux en pensent. Car en tant qu'adulte, on parle bien souvent à la place des adolescents, laissons-leur un peu la parole. Et constatons la diversité de leurs réactions, de leur vision des choses.
J'en ai profité pour demander, hélas maladroitement, le recul qu'ils ont par rapport à certains jeux vidéos et films.

- Méthodologie :
Sur 47 élèves, 4 étaient absents. Les 43 élèves ont répondu.
Dans le fil des conclusions sur ce questionnaire, j'ai transcrit des extraits de réponses choisies pour leur sujet, leur apport à la question ; une fois encore, il s'agit d'un choix, avec toutes les limites que cela comporte. Les textes ont été corrigés en ce qui concerne l'orthographe, non sur le fond ou la formulation. Le mot générique « un élève » au masculin a été choisi, sachant que je n'avais pas demandé d'indiquer le sexe sur le questionnaire. Ne pas y voir donc uniquement des réponses de garçons.
- Question 1 : Aviez-vous déjà vu des images de gueules cassées ?

Un peu moins des trois quart des élèves n'avaient jamais vu ce type d'images.
- Question 2 : Avez-vous déjà vu des images « difficiles » ?

Plus de la moitié estime avoir déjà été en contact avec des images difficiles à regarder. Mais les exemples demandés montrent que le mot « difficile » n'a pas le même sens pour tous. Pour certains, il s'agit des images d'un film (« 300 » et « un film sur le débarquement »ont été cités), pour d'autres d'images vues sur internet ou aux informations à la télévision : « J'ai vu les attentats d'Irak, l'Afrique en Côte d'Ivoire et les guerres civiles ». Pour 5 d'entre-eux, ce sont des vidéos vues sur téléphone portable, dont « des personnes qui coupent la tête d'une personne et lui mettent sur le dos » (références à des vidéos tournés par les preneurs d'otage en Irak et qui circulent sur le net). Rappelons ici que la majorité des portables permettent désormais de visualiser des vidéos que les adolescents s'échangent sans le moindre contrôle de la famille dans la quasi-totalité des cas. Cependant les images violentes viennent aussi des cours ; à commencer par les élèves n'ayant pas le souvenir d'avoir déjà vu de telles images, mais aussi par le rappel d'images vues lors des formations à la prévention routière en 5e : « Une femme totalement brulée au visage. On nous avait montré ça lors de l'ASSR1 au collège » pour trois d'entre eux, ou d'un cours (les enfants soldats). Un élève précise qu'il a vu des images dans un magazine papier et deux autres « en vrai » (référence à un événement familial).
- Question 3 : Quelle a été votre réaction à la vue des images de gueules cassées la semaine dernière ?

La moitié se dit avoir été « choquée » par la vue des images. Très peu disent n'avoir rien ressenti. Cela montre la puissance que peuvent avoir certaines images. Malgré tout, je dirai que les images choisies sont parmi les moins dures. Un visage de profil qui ne laisse qu'imaginer ce que pouvait être la vision de face ; un visage de face déjà soigné. Très loin de l'insoutenable image publiée dernièrement, qui attire le regard vers cette partie déshumanisée si violente quand on observe le regard de cet homme.
Le résultat pédagogique serait-il le même avec cette image ? Est-il nécessaire de montrer ce qu'il y a de plus dur pour faire comprendre que la guerre c'est ça aussi, qu'on peut être meurtri dans toutes les parties de son corps ? Ne tombe-t-on pas alors dans une forme de surenchère sensationnaliste digne de certaines émissions de télévision ?
La majorité a été choquée et certains commentaires sont instructifs, sur ce thème mais aussi plus généralement sur nos manières de faire : « Cela m'a choqué, comme n'importe qui, mais c'est bien de les voir. On nous dit toujours des exemples et c'est à nous d'imaginer. Là, on a un fait, une réalité ». Vous noterez le « comme n'importe qui » et le fait que l'image soit un facteur important de compréhension, bien plus précis que l'image que peuvent se faire des adolescent des choses. Montrer l'image, c'est éviter que la représentation des jeunes ne soit construite à partir des stéréotypes véhiculés par d'autres fournisseurs d'images. Un autre élève a écrit : « Pas choqué, c'est la réalité des choses ».
- Question 4 : Avez-vous parlé entre amis (de la classe ou d'une autre classe) des images vues en cours ?

- Question 5 : Avez-vous parlé avec votre famille, le soir, des images vues en cours ?

Sur le net, on parle de « buzz » ; ici, de bouche à oreille. Il ne fait aucun doute pour moi que la grande majorité des cours ne font l'objet d'aucune discussion entre élèves ; sorti du « c'était sur quoi le contrôle ? » quand plusieurs classes ont le même professeur, les échanges portent sur tout sauf sur cela. Seuls les événements qui se sont déroulés dans un cours, la blague d'un camarade... font l'objet de discussions, et parfois quelque chose plus digne d'intérêt.
Pour ces images, un quart dit en avoir parlé après. Sans autre commentaire.
Par contre, ils ne sont que 16% à en avoir parlé chez eux. Cette statistique va dans le sens, à mon avis, d'une nécessaire réflexion sur ce qui est montré sur cette question sur le forum. En effet, les adolescents restent bien souvent seuls face à la violence des images, sans filtre, sans en parler. On peut reprocher aux adolescents de regarder seuls des films, des images difficiles... mais c'est aussi le rôle des adultes de les aider à donner du sens, parfois à vivre avec ces images. Lancer le dialogue sur la question plutôt que d'attendre qu'il ne soient demandeurs.
Parmi ceux qui ont échangé avec leur famille, deux ont précisé : « Oui, avec ma mère car j'avais déjà vu le documentaire avec elle et les images. Elle trouve que ça peut faire peur à certains. » ; « Oui, j'en ai parlé avec mes parents et ils m'ont dit que c'était bien car ça nous montre ce qu'ils ont vécu à la guerre ».
- Question 6 : Suite à la diffusion des images, avez-vous fait une recherche sur internet sur ce thème ?

La grande majorité des élèves n'ont pas eu la curiosité de chercher plus avant sur ce thème. Plus la curiosité ou recherché plus gore et sensationnel ? On en revient au même point. Si vraiment ils avaient vu ces images comme quelque chose d'amusant, il est probable qu'ils auraient fait la démarche de trouver d'autres images sur le net (la quasi totalité y a accès désormais). Or ils ne l'ont pas fait. Ces images se suffisent à elles-même ?
Je pense que c'est un point qui plaide en faveur de l'idée que montrer ces images n'a pas un caractère voyeuriste ou impudique. Si les élèves avaient pris ces images pour leur simple aspect spectaculaire, ils se seraient précipités pour en voir d'autres, que l'on trouve très facilement. Or la grande majorité ne l'a pas fait.
- Question 7 : Qu'avez-vous retenu de ces images ? Avez-vous appris quelque chose grâce à elle ?

J'en arrive aux questions sur leur opinion face à ces images. Nous ne sommes plus sur leur ressenti au moment de la diffusion mais bien sur leur vision des choses une semaine après.
Pour la majorité d'entre eux, la diffusion des images semble permettre une prise de conscience de ce qu'est vraiment la guerre : des horreurs, des séquelles, des souffrances. Cinq d'entre eux ont utilisé le mot « réalité ». Voir ces images, c'est approcher sa compréhension du réel de ce qui se passe dans un conflit. « La réalité, ce que les gens ont vécu. Ce qui aurait pu nous arriver si l'on était né plus tôt » ; cette réponse ainsi formulée est unique, mais montre que ce peut être une vision d'adolescent aussi. Plus fréquemment, « J'ai retenu qu'il n'y avait pas seulement des hommes qui perdaient un bras ou une jambe mais certaines parties du visage », « Ces images m'ont fait voir la guerre sous un angle qui je ne voyais pas. On voit beaucoup la guerre comme tu te fais tirer dessus et les morts, mais en fait il y a aussi des handicapés. ». « Un éclat d'obus, de grenade, une balle peuvent faire plus de dégâts que je ne le pensais ». Les éléments retenus sont d'une grande diversité, même s'ils peuvent être réunis en quelques thèmes. Les images en tout cas apportent une vision plus complexe de ce qu'est une guerre et ses conséquences, chacun ayant déjà sa propre sensibilité qui va jusqu'à cet exemple : « J'ai de la pitié pour ces hommes car ensuite leur vie peut être difficile. J'ai appris que la guerre est plus difficile qu'on ne le pense ». Le « on » remplace le « je », mais il s'agit bien de cela.
- Question 8 : Fallait-il diffuser ces images ? Argumentez votre opinion.


L'argumentation fait partie des méthodes travaillées en Histoire et en Français en troisième, c'est toujours intéressant de le faire faire dans un cadre différent.
La réponse est assez catégorique : 84% pensent qu'il faut montrer ces images ; 2 élèves ont eu un discours plus nuancé, apportant du pour et du contre ; un élève s'est montré opposé à cette diffusion en raison des risques : « Je pense qu'il ne fallait pas les diffuser car certaines personnes peuvent être choquées ». Parmi les pour, il est intéressant de noter qu'apparaît encore l'idée de réalité : « Oui, la vérité et la réalité sont importantes ». D'autres ont un peu plus développé leurs idées : « Oui, peut-être que c'est un peu traumatisant (...). Sinon, à quoi ça sert de nous apprendre ce qu'étaient les grandes guerres, parler de ce qui leur ait arrivé ne sert à rien sans justification, sans preuve. Les textes ne font pas tout, mais les images le font ». Il est vrai que nous travaillons à partir de textes et d'images, mais cet élève pointe du doigt que la narration d'un fait est parfois moins forte si elle n'est pas ensuite illustré. L'image apporte un plus, surtout pour des jeunes qui n'ont pas encore d'images précises, en dehors de certains stéréotypes dont j'ai déjà parlé. C'est dans ce sens, à mon avis, qu'il faut prendre son idée. « Je pense que oui. C'est bien d'avoir vu ces images, pour vraiment comprendre à quel point la guerre est quelque chose d'horrible ».
Pour conclure sur ce point, je pense vraiment que la diffusion de ces images apporte un plus dans la compréhension de la guerre, de ce qu'est la guerre chez les élèves. Nourris de stéréotypes liés aux films, aux jeux, il est bon de confronter, parfois un brutalement je le conçois, leur vision à une réalité terriblement humaine. Mais pas sans précaution ; certes, la seule précaution prise en classe est de les avertir du caractère « dur » des images proposées, mais une précaution est aussi de garder un temps de discussion après la diffusion. Le problème d'internet, est que les jeunes ont accès à des images « dures » très facilement. Il semble que sur le forum il soit possible de diffuser ce type d'image car elles entrent bien dans ce thème. Mais il faut penser qu'il n'y a pas que des adultes qui connaissent le thèmes qui y ont accès ; sans faire la politique de l'autruche (« On diffuse puisqu'ils peuvent trouver facilement ailleurs »), je pense qu'il faut vraiment prendre un minimum de précaution, comme cela avait été fait dans un autre sujet sur ce thème dans la rubrique santé.