
LE PIED DE TRANCHEE UNE EXCEPTION FRANÇAISE ?
Ce petit résumé est fait à partir des actes de la :
« CONFERENCE CHIRURGICALE INTERALLIEE POUR L’ETUDE DES PLAIES DE GUERRE. 4ème session 11 au 15 mars 1918 »
J’espère ainsi introduire un nouveau sujet d’échanges entre nous, avec l’approbation de notre ami Jean RIOTTE


RESUME :
Dans les premiers jours de l’année 1914-1915 sont apparus dans les armées des pathologies qui ont de prime abord dérouté les médecins par leur complexité apparente.
Des soldats étaient atteints de gonflements des pieds avec des lésions cutanées suivies de mortification plus ou moins étendue des tissus.
Il ne s’agissait pas de simples gelures aux pieds mais pour les médecins de l’époque d’une maladie spécifique plus complexe qu’il convenait d’appeler : Le Pied de Tranchée.
Voici quelques exemples vécus et racontés par nos poilus.:
1) « Ce matin, j’ai eu la frousse d’avoir des pieds gelés dans ma section : il y avait sur la gadoue une couche de glace qu’on brisait en avançant ; heureusement, les poilus qui avaient passé la nuit dehors s’étaient arrangés pour avoir les jambes émergeantes : ils avaient fabriqué de petits îlots avec des sacs et des débris divers. Je n’ai eu qu’un homme dont les pieds aient été sérieusement atteints, et encore guérissables. »
Lettres de Marcel Papillon à ses parents, Marthe, Joseph, Lucien, Marcel Papillon, « Si je reviens comme je l’espère » Lettres du front et de l’arrière 1914-1918, Paris, Grasset, 2004, p. 124-125.
2) 57e RIC.
Bataillons de Sénégalais. Chemin des Dames début avril.
- Serait arrivé le 2 avril au front selon Diagne. Effectif le 2 avril : 654 Européens et 2324 indigènes. 233 évacuations pour angelures aux pieds du 1er au 20 avril, et 93 pour affections pulmonaires.
3) .Le 25, nous lançons toute la matinée des bombes et des pétards sur la tranchée adverse et sur les levées de terre fraîche que nous repérons en face de nous. J'ai les pieds complètement glacés. Je ne les sens plus. J'ai l'impression très nette que ma sensibilité s'arrête à hauteur des chevilles. Voilà trois jours et trois nuits que mes pieds végètent dans la boue liquide et il n'y a pas un mètre carré de sols secs où je puisse les sortir de ce bain forcé. Si, pendant le jour, je peux encore remuer mes orteils et agiter dans la boue mes pauvres membres engourdis, en revanche les nuits sont particulièrement douloureuses, car je dors les pieds dans l'eau et leur immobilité totale les anesthésie lentement mais inexorablement.
Mémoires de Guerre de Jean PETIT .
http://xn--pass-prsent-futur-de-stphane ... index.html
4) Quelques extraits des Carnets de Victorin Bès
20 avril 1916 : « Violent bombardement ce matin à 4 h sur ma compagnie. 25 tués en 1h ! Décidément, les Boches* en veulent à ma tête : un éclat a fendu le rebord de mon casque » « Nous avons du froid et de la neige : quelques évacués pour pieds gelés. De les voir partir ces jours derniers vers l’arrière*, la mine réjouie malgré la gravité de leur mal, d’entendre leur dire ou de leur avoir moi-même dit : « Veinard, t’as le filon ! » cela m’avait donné un noir cafard. Vers minuit, ma résolution était prise : demain j’aurai les pieds gelés (Victorin Bès passe à l’acte, et trempe son pied droit dans l’eau glacée) La douleur se fait atroce, ma volonté faiblit, je souffre trop... je me rechausse. Merde, merde, et mille fois merde. Tant pis, je crèverai d’un obus ou d’une balle, mais je n’ai pas le courage de me faire geler le pied. Si d’un point de vue patriotique, la mutilation volontaire est une lâcheté, moi qui suis un combattant involontaire, j’affirmerai désormais qu’il faut être rudement courageux et solidement trempé de volonté pour accomplir cet acte de désespoir »
LES DIFFERENTES FORMES DU PIED DE TRANCHEE :
D’après le médecin Major RAYMOND, Professeur agrégé au Val de Grâce, le pied de tranchée évolue en trois formes.
Forme n° 1 : La forme légère du pied de Tranchée :
C’est la forme la plus fréquente, 85 à 90 % des cas.
Elle se caractérise par tout d’abord un endormissement douloureux du pied (anesthésie), avec des troubles de la marche et un oedème du pied (gonflement).
- Endormissement où anesthésie des pieds :
Elle est totale, le malade ne ressent ni la piqûre ni le contact. Elle est profonde, le Docteur Raymond a soigné des blessés des pieds par éclats d’obus qui ne ressentaient aucune douleur à cause de leur Pied de Tranchée.
- Douleurs et troubles moteurs: Elles surviennent par crises aigues, augmentées par la chaleur et la position couchée et rendent la marche impossible.
- Oédème mou du pied avec des orteils boudinés, et avec des zones très blanches et d’autres rouges violacées.


Forme n ° 2 : La forme sérieuse du pied de Tranchée :
Elle se caractérise par l’apparition de phlyctènes (ampoules) et ultérieurement d’eschares
( partie d’aspect noirâtre ou la peau et les tissus sous jacents sont nécrosés, morts.). Elle représente 13% à 14 % des cas.
Phlyctènes : Elles se produisent sur les régions oedémateuses ou peuvent apparaître un ou deux jours après.
Leurs localisations préférées sont les orteils, le dos du pied et plus rarement le talon. Leur volume est variable. Leur contenu est très particulier. Quand on les ouvre, il s’écoule un liquide citrin et dessous on trouve le derme mis à nu. Elles peuvent guérir spontanément dans quelques rares cas.
Eschares :
L’eschare noire n’a aucune tendance à la chute spontanée. Si on l’enlève on trouve dessous un tissu ayant l’aspect et la consistance des putrilages que les anciens auteurs décrivait comme étant la pourriture d’hôpital.
Ce putrilage détruit de proche en proche tous les tissus et finalement atteint le squelette et les articulations.
Phénomènes généraux : Fièvre de 38.5 % à 39.5%, troubles digestifs.


Forme n° 3 : La forme grave du pied de tranchée.
1 % des cas en moyenne.
Elle s’observe en particulier chez les indigènes et surtout chez les Africains.
Elle se caractérise par l’étendue des lésions qui affecte souvent le type de la gangrène humide et par l’apparition de phénomènes d’infection généralisée qui entraîne souvent la mort des blessés. Quand elle guérit elle laisse des mutilations importantes avec une amputation spontanée des parties atteintes.
La forme grave du pied de tranchée s’accompagne souvent de phénomènes généraux très accusés, en particulier chez les indigènes et peut prendre la forme d’une septicémie avec une fièvre à 40°.
Les complications qui peuvent surgir sont toutes redoutables : Tétanos, gangrène gazeuse, septicémie généralisée.
Le pied de tranchée a une nette tendance à la récidive et nous avons vu des malades qui ont eu plusieurs atteintes au cours de l’hiver.


CAUSES GENERALES DU PIED DE TRANCHEE.
L’immense majorité des cas concerne des soldats ayant passé un temps plus ou moins long dans les tranchées.
Il faut 3 ou 4 jours pour que le mal apparaisse et s’observe surtout après 8 à 10 jours.
Les séjours antérieurs sont un facteur de sensibilisation.
Il survient par bouffées, en très peu de temps et presque simultanément un grand nombre de soldats en sont atteints. Surtout au commencement et à la fin de l’hiver ou les pluies sont les plus abondantes. L’âge des soldats joue un rôle et curieusement les plus jeunes sont les plus touchés. Mais c’est surtout le groupe ethnique qui semble être un facteur déterminant. Les Nord-Africains sont moins touchés que les Africains mais sont plus atteints que les Européens.
- Le froid a été le premier incriminé et joue un rôle mais il y a eu des cas avec des températures positives et même en plein été. Août 1917. Armée des Flandres.
- La stase sanguine par la station debout prolongée.
- Les bandes molletières ont été signalées par la compression qu’elles entraînent.
- La marche prolongée.
Mais la cause essentielle reste l’humidité froide.
MESURES A PRENDRE :
Collectives et individuelles.
Assainissement des tranchées, création de rigoles d’écoulement, utilisation de pompes pour vider l’eau. Chemins en caillebotis et surtout création d’abris sec et chauffés ou les soldats pourront changer de chaussettes et graisser leurs pieds et leurs chaussures.
TRAITEMENTS :
Du pansement simple à la cure chirurgicale en fonction des lésions.
L’amputation est parfois nécessaire avec un taux de guérison totale de :
95 % pour les Africains
95 % pour les Nord-Africains
99,6 % pour les Européens.
Le Pied de Tranchée dans les autres armées alliées.
1) ARMEE BELGE :
Dans les interventions, le Docteur DEPAGE médecin principal Belge rappelle que l’absence de Pied de Tranchée dans l’armée Belge est dû à l’interdiction des bandes molletières.
Qu’il a signalé déjà et à maintes reprises que pendant la guerre des Balkans il avait pu observer l’influence néfaste de ces bandes molletières qui se rétrécissent en séchant et compromettent la circulation et entraînent la gangrène. Il rappelle sa communication en 1913 à l’académie de Belgique.
Dans le même congrès, le médecin Belge M J VONCKEN fait remarquer dans son exposé que pour toute l’Armée Belge et il n’y a eu que quatre cas de gelures légères et un seul cas de gangrène du gros orteil par gelure et ce malgré les conditions climatiques très rudes et avec des régiments occupant des tranchées proches géographiquement de celles des Français et pendant la même période de l’hiver 1914-1915.
Donc pas de maladie du Pied de Tranchée pour nos amis Belges.
Mais dans l’armée Belge :
Le port des bandes, molletières est sévèrement défendu. Le soldat Belge porte une petite guêtre de cuir très évasée à sa partie supérieure pour éviter toute constriction de la circulation pas les bandes molletières.
Le port de la chaussette de laine est généralisé.
2) ARMEE ITALIENNE :
Le médecin inspecteur L BONOMO, confirme également dans son intervention que les bandes molletières ont été complètement supprimées dans l’armée Italienne et remplacées par des guêtres tricotées. Les Italiens n’ont pas autant de problèmes de Pied de Tranchée que les Français et le lieutenant colonel médecin Castellani confirme : « Les molletières sont à rejeter et on devrait les faire complètement disparaître de l’habillement du soldat »
DISCUSSION :
Malgré la démonstration tout à fait concluante des médecins Belges et Italiens , la conférence chirurgicale interalliée, dans ses conclusions des séances du 11 au 15 mars 1918, ne préconise pas la suppression des bandes molletières mais simplement leur surveillance.
Il semble donc bien que les médecins Français aient très largement sous-estimé les conséquences néfastes provoquées par le port des bandes molletières et se sont trompés sur les causes réelles en privilégiant à tort :
- l’humidité froide.
- Les facteurs liés aux groupes ethniques.
C’est donc le port des bandes molletières qui est en réalité la cause principale de tant de souffrances et voila un bien mauvais point pour les toubibs Français de l'époque.

Je n’ai pas trouvé le nombre total des soldats ayant souffert de ce problème, ni la répartition par régiments ou par type de soldats. 233 évacuations pour angelures aux pieds du 1er au 20 avril au 53 RIC, donc en 19 jours seulement !
Quelle a été l’ampleur de ce phénomène ?
Qui donc a inventé ces bandes molletières et depuis quand sont elles réglementaires ?
A suivre les autres documents de la société de chirurgie et les compte-rendus de l'académie de médecine avec L.P.
Amicalement,
Alain MC.