ANNA MARIA
Brick goélette de 142 tx
Armateur Jean Legasse. Effectue une traversée Bonanza (Espagne) – Saint Malo avec un chargement de sel et de vin pour l’armateur.
Capitaine LE CRURER Jean CLC inscrit à Saint Brieuc.
6 hommes d’équipage, capitaine inclus.
Le 4 Février 1917, à 10h00, l’ANNA MARIA se trouve par 49°37 N et 05°10 W et fait route à l’est à 2,5 nœuds.
Temps incertain. Mer peu agitée. Vente de NNE. Bonne visibilité.
Un sous-marin est aperçu dans le nord à 4 ou 5 milles sur bâbord. La goélette continue sa route. Le sous-marin est en surface ; il fait route sur la goélette à environ 10 nds et tire deux coups de canon.
Aux coups de canon, le voilier met en panne et affale un canot et un doris dans lesquels embarque tout l’équipage. Les embarcations s’éloignent et le sous-marin tire encore 5 coups de canon sur la goélette.
Puis il s’approche et le commandant demande les papiers du bord qu’il faut donner et qu’il garde. Il ne parle pas français et c’est son second qui traduit. Ils font monter sur le sous-marin le capitaine, le maître d’équipage et le mousse, tandis que le second allemand et deux marins prennent place dans le doris avec deux bombes. Ils montent sur ANNA MARIA, s’emparent d’un sac de haricots et des jumelles du capitaine ; puis placent les bombes dans la chambre et sur le passavant, avant de regagner le sous-marin. Les bombes explosent et le voilier coule en quelques minutes.
Le commandant du sous-marin indique au capitaine, en anglais, qu’il se trouve à 5 milles de Lizard et qu’il peut facilement regagner la terre. Il ne parle qu’anglais et n’a demandé que les papiers, et aussi quel était le salaire de l’équipage avant d’indiquer la position du navire.
Pendant qu’il était sur le pont, le capitaine a interrogé un marin et lui a demandé quel était son bâtiment. Celui-ci a répondu en anglais : « l’ U 83 ».
Le second, qui était monté dans le doris avait demandé en français au matelot resté dans le canot ce que transportait l’ANNA MARIA.
Les naufragés ont nagé de 10h30 à 11h30 et ont rencontré le chalutier anglais ADVENTURE, en pêche, qui les a recueillis et déposés à Penzance le 5 Février à 08h00.
Description du sous-marin
Kiosque au milieu. Antenne de 2m environ. Pas de garde-corps ou de filière. Un canon fixe à 1m sur l’avant du kiosque, sans doute un 75 mm. Périscope sur l’avant du blockhaus. Petit mât de pavillon sur l’avant du périscope.
Peinture grise très sale et vieille.
Commandant petit, assez gros, portant une veste sans galons. Second plutôt grand, sans galons non plus. Quatre ou cinq matelots sur le pont du sous-marin.
Voici le dessin fait du sous-marin

Complément au rapport
Le capitaine Le Crurer indique aussi que le 3 Février, alors qu’il était à 20 milles dans le sud des Sorlingues, il avait déjà été intercepté par un sous-marin allemand. Il avait alors mis à l’eau le doris et le commandant du sous-marin lui avait demandé de venir à son bord. Mais il l’avait laissé regagner son voilier lorsque celui-ci lui avait dit n’avoir que ce doris pour sauver son équipage. Le sous-marin portait un numéro « U 53 ». Son commandant parlait très très bien le français. Ce sous-marin avait deux canons, un sur l’avant du kiosque et un sur l’arrière.
Or, arrivé à Penzance, il a rencontré le capitaine d’un navire américain dont il a oublié le nom. Celui-ci lui a raconté avoir été coulé par un sous-marin allemand dont le commandant lui a dit qu’il venait de faire grâce à un voilier français qui n’avait pas de canot de sauvetage.
Le sous-marin attaquant
Le matelot allemand n’avait pas menti. C’est bien l’U 83 qui avait coulé l’ANNA MARIA. Il était sous les ordres du KL Bruno Hoppe.
On peut même penser qu’il aurait sans doute reçu un savon de la part de son commandant si celui-ci l’avait entendu donner le renseignement.
La disparition de l’U 83
Deux semaines plus tard, le 17 Février, l’U 83 rencontrera son destin en mer d’Irlande, par 51°34 N et 11°23 W en croisant le vapeur anglais FARNBOROUGH du capitaine de frégate Gordon Campbell. C’était en fait un Q-ship, le n° 5, un bateau-piège.
Campbell avait donné l’ordre à ses officiers, en cas de rencontre de sous-marin, de se laisser torpiller en évitant que la torpille n’entre dans la salle des machines.
Quand il vit la torpille lancée par l’U 83, l’officier de quart mit la barre à droite au dernier moment et la torpille explosa dans la cale 3, y faisant un énorme trou et blessant un enseigne mécanicien. Les hommes furent aussitôt mis aux postes de combat et ceux qui n’en avaient pas firent mine d’abandonner le FARNBOROUGH, mettant deux canots et un youyou à l’eau, laissant une embarcation à demi amenée sous ses bossoirs, puis restant à proximité du navire. Campbell était resté couché sur l’aileron de passerelle, invisible de la mer.
L’U 83 s’approcha en immersion périscopique et vint jusqu’à 12 m de l’anglais, examinant soigneusement au périscope le navire et les embarcations. Campbell voyait sa forme entière sous l’eau, mais ne broncha pas.
Le sous-marin contourna le vapeur par l’avant et, à 300m sur bâbord avant, fit surface. Il revint alors le long du FARNBOROUGH. A bout portant, Campbell engagea le combat et ce fut un déchaînement. Quarante coups de canon furent tirés, sans compter les rafales meurtrières de la mitrailleuse Maxim.
Au premier coup de canon, le commandant Hoppe, qui était sur le kiosque, fut décapité. Totalement surpris, le sous-marin resta en surface et fut percé comme une écumoire. Le kiosque fut traversé de part en part. Finalement, écrasé par ce feu d’enfer, il coula avec son écoutille ouverte. Quelques marins parvinrent difficilement à s’extirper avant sa disparition, sans doute six ou huit.
Une embarcation du FARNBOROUGH vint alors à leur secours, mais elle ne put repêcher qu’un officier et un matelot.
Remorqué par l’aviso BUTTERCUP, arrivé entre temps, le FARNBOROUGH put être échoué à Mill Cove (Berehaven)
Cet exploit provoqua à la fois un frisson d’horreur et un sentiment d’orgueil dans la marine britannique. Gordon Campbell reçut la Victoria Cross.
Le revers de la médaille fut la guerre sous-marine à outrance décrétée par le Kaiser en ce même mois de février 1917, et le début des torpillages systématiques sans avertissement.
Le premier sous-marin
Le récit très détaillé du capitaine Le Crurer permet d’identifier le cargo américain, avec ce que l’on trouve sur le site U-boat.net.
Le premier sous-marin rencontré était donc bien l’U 53, commandé par le Kapitanleutnant Hans Rose. Le 3 février, il avait bien torpillé un gros vapeur américain de 3143 t, le HOUSATONIC, à 20 milles dans le sud de Bishop Rock, par 49°35 N et 06°08 W. Ce vapeur effectuait une traversée Galveston – Londres avec une cargaison de blé.
Les propos tenus par l’Allemand à son homologue américain étaient donc parfaitement exacts et concernaient, à n’en pas douter, l’ANNA MARIA.
Hans Rose, né le 14 Avril 1885 à Berlin, est décédé le 6 Décembre 1969. Il avait reçu la croix « Pour le Mérite » en Décembre 17. On peut voir sa photo sur U-boat.net.
Cdlt