Bonjour à tous,
• D’un auteur anonyme : « Des combats de corsaires à la guerre sous-marine ―
Histoire de la famille Le Borgne », Imp. René Tancrède, Paris, 1921, p. 32 à 38.
« La maison Le Borgne a payé hélas ! son tribu à la guerre sous-marine : deux de ses bateaux, le Saint-Ansbert et le Marie-Louise ont été torpillés et coulés par des sous-marins allemands.
Mais, par contre, ses autres bateaux, le Saint-Antoine-de-Padoue, le Radium, le Charles-Le-Borgne, ont eu leur part de gloire. [...]
Quant au trois-mâts goélette Saint-Antoine-de-Padoue, il a eu, plus que les autres encore, sa page glorieuse.
Cet humble voilier fécampois de 500 tonnes, affecté au transport du charbon et armé seulement en vue de la défensive, naviguait le 23 avril 1917 à destination de Port-Talbot (Angleterre) de conserve avec le Saint-Jacques, un autre trois-mâts fécampois qui, lui, n’était pas armé. Au cours de la nuit, les deux navires perdirent le contact et ne se retrouvèrent qu’à l’aube. Ils manœuvraient pour se rejoindre, quand soudain, à 18 milles environ de la pointe de Portland, un sous-marin allemand apparut et se mit à canonner le Saint-Jacques. Le Capitaine Richard qui commande le Saint-Antoine-de-Padoue, est dénué d'armement pour l’offensive, mais, fidèle au vieux sang des corsaires qui ne s’est pas refroidi dans les veines de nos marins normands, il ouvre le feu, crânement, sur l’agresseur qui se hâte d'envoyer encore deux obus au Saint-Jacques, puis disparaît sans même répondre au canon du Saint-Antoine. Les deux capitaines se rendent compte que, malgré ses avaries, le Saint-Jacques peut encore naviguer ; on fait remonter à bord l’équipage déjà descendu dans les embarcations et le Saint-Antoine escorte son camarade blessé, jusqu’à la côte anglaise, où, sous la protection des patrouilleurs britanniques, celui-ci peut s’échouer sans accident.
Cela se passait dans la matinée du 24 avril ; or, le 6 mai suivant, au lever du jour, le même capitaine Richard vient de quitter Briton-Ferry (Angleterre) sur le même Saint-Antoine-de-Padoue, chargé de charbon à destination de Fécamp. Il se trouve à 4 milles de terre, auprès de la baie de Saint-Yves, en compagnie de 6 voiliers anglais non armés. Soudain, le timonier découvre à la jumelle à 3 milles au N.-O., un sous-marin d’une longueur d’environ 100 mètres. Malgré l’infériorité de son armement le Capitaine Richard, pour sauver les 6 voiliers en donnant l’alarme aux patrouilleurs anglais qui ne sauraient être loin, ouvre le feu sur le monstre qui, au premier obus, disparaît. Un destroyer anglais arrive à toute vapeur ;
l’ennemi a échappé au châtiment, mais les 6 navires sont sauvés.
La Chambre de Commerce de Fécamp, dans sa séance du 1er juin 1917, après avoir voté à l’équipage du Saint-Antoine une prime de 1.000 francs (aussitôt doublée par M. Charles Le Borgne), décida de demander au Gouvernement une distinction pour le Capitaine Richard qui, en moins de deux semaines venait de sauver d’une destruction quasi-certaine, 7 navires, des chargements attendus par nos usines de guerre et de nombreuses vies humaines.
Aux primes ci-dessus est venue s’ajouter une somme de 25.000 Fr. votée par le Comité de Répartition des fonds de la souscription ouverte par le Journal, en faveur des héros de la Marine Marchande.
Effectivement le Capitaine Richard fut décoré de la Médaille Militaire et ses matelots reçurent la Croix de Guerre.
Le 3 juillet 1917, la remise de cette prime fut effectuée à bord du voilier Saint-Antoine-de-Padoue, amarré au quai Sadi-Carnot. La cérémonie fut à la fois solennelle, simple et touchante : solennelle par suite de la présence des autorités, simple, puisqu’elle se passait sur le pont même du vaillant bateau, et touchante, puisqu’elle glorifiait 13 braves marins qui ont défendu et sauvé, au péril de leur vie, plusieurs voiliers français et anglais.
Dans une autre circonstance, le 12 août 1917, vers minuit, le vaillant petit navire attaqué à la mitrailleuse et au canon par un sous-marin, manœuvra si habilement et riposta si rigoureusement que l’ennemi se retira. A cette occasion, le Comité de Répartition des fonds de la souscription accorda au Saint-Antoine, une prime de 1.600 francs, et dans le compte-rendu de la séance du Comité (Le Journal, 2 décembre 1917) le Secrétaire Général, après avoir rappelé que le trois-mâts goélette Saint-Antoine-de-Padoue, est un " chevronné de la guerre contre les sous-marins allemands ", et avoir rendu hommage à " l’héroïque Capitaine Richard ", ajoutait : " le nom de ce bateau figurera en bonne place dans les Annales Maritimes de la grande guerre ".
Enfin, une troisième fois, le Saint-Antoine-de-Padoue eut à supporter l’attaque d'un sous-marin et s’en tira brillamment. Le journal L’Illustration en fit un récit enthousiaste dans son numéro du 28 juillet 1917, sous le titre : " UN VOILIER QUI A DU CRAN ", et M. Raymond Lestonnat en conta le détail aux lecteurs de L'Intransigeant, à la date du 14 février 1918, en un article à la fois émouvant et humoristique, que nous ne saurions mieux faire que de reproduire " :
LA GLOIRE ET LE FOYER
LE BEAU COMBAT DU SAINT-ANTOINE
Ceci n’est pas une fable, et c’est trop beau pour un conte.
Le Ministre de la Marine vient d’accorder un témoignage officiel de satisfaction au trois-mâts goélette Saint-Antoine-de-Padoue, de Fécamp, pour l’attitude énergique et disciplinée de son équipage, lors d’une attaque de sous-marin le 6 décembre 1917. Déjà le brave petit navire avait été l'objet de deux citations magnifiques en récompense de la bravoure de son équipage ; la première, après deux combats soutenus avec succès, pendant la même traversée, contre des sous-marins puissamment armés, pour porter secours à toute une flottille de caboteurs anglais sans défense, qui échappèrent ainsi aux pirates. A la suite de ce brillant fait d’armes, le Capitaine Richard fut décoré de la Médaille Militaire et ses matelots de la Croix de guerre.
Cette fois, le Saint-Antoine-de-Padoue était parti de Briton-Ferry avec un chargement pour Fécamp. Il ventait jolie brise de Sud-Est ; la mer était houleuse. Au petit jour, le lendemain, le vent fraîchit en hâlant le Sud. Vers neuf heures, au moment où les hommes changent le loc dont la ralingue s’est rompue, une forte détonation éclate à l’arrière et un obus, passant en sifflant à travers le gréement, tombe à deux cents mètres de l’avant du navire.
On ne s’émeut pas pour si peu sur ce bateau, vieux briscard de la Manche. En un clin d’œil, chacun est au poste de combat et les obus partent à « l’adresse » du sous-marin que l’on aperçoit à quatre mille mètres et qu’ils encadrent si bien qu’il juge prudent de plonger après un quart d’heure de canonnade. Peu de temps après, il apparaît de nouveau, plus loin sur l’arrière, et le combat recommence avec acharnement.
Le tir de l’ennemi est bien réglé ; les obus pleuvent autour du voilier qui louvoie, changeant fréquemment d’amures pour dérégler le tir tout en faisant feu de ses deux canons. Le pont est arrosé d’éclats. Le canon de l’arrière est avarié et, pendant qu’on le répare sous la mitraille, le bateau est obligé de se placer dans une position désavantageuse pour continuer de se défendre avec celui de l’avant.
A midi, un projectile traverse le pont et explose dans le poste d’équipage, occasionnant de graves avaries, et le matelot Verdier, qui s’y trouve occupé à passer les munitions, est grièvement blessé. La canonnade continue, précipitamment ; on dirait que l’ennemi est impatient de couler son héroïque adversaire, qui se défend farouchement. Tout à coup, le sous-marin plonge, ayant aperçu un avion naval accourant à tire-d’aile — si j’ose dire — au secours du voilier. Puis un patrouilleur britannique, attiré aussi par le bruit du canon, étant survenu, le sous-marin ne reparaît plus. Il est midi un quart. Pendant ce rude combat, quatre-vingts obus de 105 ont été tirés sur le voilier, qui a riposté par cent trente coups de canon.
Le Saint-Antoine-de-Padoue, profitant d'une belle brise du Sud-Ouest, mit le cap sur Fécamp, où il arriva sans autre incident. Après avoir débarqué sa cargaison, on entreprit les réparations des dégâts causés par les projectiles ennemis et ce fut, pour l’équipage, l’occasion de demeurer plus longtemps à terre et de s’occuper un peu de ses propres affaires.
Par un heureux hasard, cette « perm » inespérée coïncidait avec l’assemblée générale de la Ligue Maritime Française, au cours de laquelle des médailles devaient être remises aux marins s’étant distingués dans la lutte contre les sous-marins ennemis ; le Capitaine Richard était sur la liste des lauréats et son armateur M. Charles Le Borgne, en avait été avisé. Il pensa incontinent le faire venir à Paris et l’appela au téléphone.
— Allô ! C’est vous, Richard ?
— Oui, monsieur Le Borgne.
— Comment, ça va-t-il ?
— Ça pourrait aller mieux. Les travaux n’avancent pas vite. Les avaries sont plus fortes qu’on ne croyait. On est au sec pour longtemps.
— Voulez-vous venir ici dimanche ? Vous descendrez à la maison. La Ligue Maritime vous remettra une médaille en récompense de votre héroïque conduite.
— Je n’ai fait que mon devoir ; n’en parlons plus.
— Le Ministre de la Marine présidera.
— Il est bien aimable.
— Le Président de la République assistera à la séance.
— Alors il y aura beaucoup de monde.
— Vous en serez ?
— Non, non. Remerciez bien tous ces messieurs, mais je ne peux venir en ce moment.
— Qui vous en empêche ?
— Je fais mon cidre.
L’armateur, normand de race comme son capitaine, n’insista pas. Quand un Normand fait son cidre, rien ne peut le distraire, parce que, dans ce beau et plantureux pays, le cidre est de la famille et que le foyer passe avant tout.
Et, le dimanche, pendant qu’à la Sorbonne un monsieur prononçait un discours éloquent, qu’une sociétaire de la Comédie Française disait un émouvant poème et que la musique de la garde républicaine emballait la foule par une rafale de notes guerrières, le capitaine Richard, en bras de chemise, dans la cour de sa maison, faisait son cidre avec un plus grand soin que d’ordinaire, parce que ce sera, il n’en doute pas, le cidre de la Victoire."
RAYMOND LESTONNAT.
La revue mensuelle illustrée La France Maritime
publie le tableau d'honneur des navires de commerce qui se sont distingués contre les sous-marins allemands, et elle leur décerne à chacun un diplôme. Voici en quels termes elle parlait, en juillet 1918, du Saint-Antoine-de-Padoue et de ses trois combats :
" 1°—
Le 24 avril 1917, il force l’ennemi à plonger et sauve le voilier
Saint-Jacques qui, sans armes et touché par des obus, avait été évacué par son équipage ;
2° —
Le 12 août 1917, dans un combat de nuit, force, par son tir, un sous-marin à abandonner son attaque ;
3° —
Le 6 décembre 1917, lutte au canon pendant plus d’une heure contre un sous-marin qui le couvre d’obus et blesse un homme. L’ennemi n'abandonne le combat qu’au moment où un hydravion anglais arrive sur les lieux. »
L’envoi du diplôme est accompagné de la note suivante :
" La revue mensuelle
La France Maritime, est heureuse d’offrir le présent diplôme au vaillant voilier
Saint-Antoine-de-Padoue, armateur M.
Charles Le Borgne, de Fécamp, en souvenir de son héroïque conduite en mer." »
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