Flottille de pêche de Boulogne
1er Mars 1917
Le 1er Mars 1917, un sous-marin allemand a attaqué de nombreux navires de pêche de Boulogne et d’Etaples, se livrant à un véritable carnage. Il y eût toutefois très peu de pertes en vies humaines.
Les archives identifient souvent ces navires de pêche par leur numéro d’immatriculation et leur tonnage, mais la comparaison avec le site uboat.net, ainsi que l’étude des quelques rapports se trouvant aux archives, dans un même dossier, permet de retrouver les noms de ces divers bateaux, vapeurs ou voiliers. Tous les patrons n’ont pas effectué de rapport.
La note de l’Etat-major de la Marine signale :
« Le 1er Mars 1917 entre 14h00 et 17h00, à 6 milles environ à l’ouest de Berck, un sous-marin ennemi est apparu au milieu de la flottille de pêche et a coulé 9 bateaux de Boulogne.
Les circonstances sont les mêmes dans chaque cas. Le sous-marin se lance en surface à la poursuite du bateau de pêche, tire un ou plusieurs coups de semonce, fait évacuer la barque, et la coule.
Dans un seul cas (nota : en réalité au moins trois) il s’est servi d’une bombe qu’il est allé déposer à bord du bateau. Dans tous les autres cas, il a employé le canon, sans doute pour aller plus vite en besogne. »
Suit un tableau des 9 navires coulés.
En réalité, le sous-marin a ce jour-là coulé 14 navires dont 12 français. Parmi ces derniers, onze navires de pêche (voiliers ou vapeurs) et un caboteur. Il en a endommagé un 15e par mine.
Reconstitution de la journée du 1er Mars 17
14h00 SEIGNEUR 53 tx Lougre de pêche d’Etaples immatriculé 2994B
Le navire est coulé à 6 milles à l’ouest de Berck. L’équipage est recueilli par un autre navire de pêche (n° illisible) et ramené à Etaples.
14h00 NOTRE DAME DE LOURDES 47 tx Lougre de pêche de Boulogne immatriculé 2975B
Patron Gaston Dubois
Le voilier est arraisonné vers 14h00, à 6 milles dans l’ouest de Berck, par un sous-marin qui émerge à 200m et tire un coup de canon. Le patron fait rentrer le chalut, puis l’équipage évacue dans un canot et fait route vers la terre. Le sous-marin va alors se diriger vers 3 autres pêcheurs, un de Boulogne et 2 d’Etaples, qu’il va couler avant de revenir sur le NOTRE DAME DE LOURDES qu’il coulera à 15h00 d’un seul coup de canon.
Le canot du ND DE LOURDES arrivera le soir à 20h00 à Fort Mahon. Le chalutier n'était pas assuré.
Les 3 pêcheurs signalés par le patron Dubois sont les trois suivants.
14h00 SAINTE FAMILLE 25 tx voilier de pêche d’Etaples immatriculé 335B
Coulé au canon. L’équipage est sauvé et ramené à Berck.
14h15 GERMAINE 24 tx voilier de pêche immatriculé 22B
Ce voilier est coulé au moyen d’une bombe, selon le rapport du patron Dubois du ND DE LOURDES. Son équipage est sauvé et ramené à Etaples par un canot du pêcheur 2712.
A noter que GERMAINE ne figure par sur la liste uboat.net, en attente de confirmation par le KTB du sous-marin. Mais incontestablement, le rapport du patron Dubois identifie formellement le même sous-marin ainsi que le GERMAINE dont il donne à la fois le nom et l’immatriculation que l’on retrouve sur la liste de l’Amirauté.
14h15 SAINT JOSEPH 20 tx Voilier de pêche d’Etaples immatriculé 364B
Coulé au canon. Equipage sauvé et ramené à Etaples.
Ne pas confondre avec SAINT JOSEPH, lougre de Gravelines, immatriculé 705, et coulé le 25 Février précédent par le même sous-marin
15h30 HOMOCEA 58 tx Vapeur anglais immatriculé 69 Plymouth
Ce chalutier à vapeur était loué par un armateur français, monté par un équipage français de Boulogne, et admis à vendre son poisson en France au même titre que les navires français.
Il est coulé, au canon semble-t-il, à 7 milles au NNW de Cayeux.
Son équipage est sauvé par le NOTRE DAME DU ROSAIRE, puis ramené à Boulogne par le patrouilleur RELIANCE.
15h45 BOUT DE ZAN 15 tx Voilier de pêche immatriculé 485B
Ce voilier est canonné à environ 6 milles dans l’ouest de Berck. Il est abandonné, mais n’a pas été coulé par le sous-marin. Il est parti en dérive et est allé s’échouer à Dungeness (perte totale semble-t-il).
L’équipage a été sauvé et ramené à Berck par le canot du 219B.
15h45 REINE DES ANGES 47 tx Voilier de pêche immatriculé 219B
Patron Ramet
Coulé à 6 milles dans l’ouest de Berck. Son équipage est sauvé et revient en canot à Berck avec l’équipage du BOUT DE ZAN.
16h30 ELORN 603 tx Vapeur armé à Brest et effectuant une traversée Saint Malo-Dunkerque
Ce navire caboteur est commandé par le capitaine au cabotage HARS. Le second capitaine est un capitaine au long cours nommé BIOVIR.
Le vapeur est canonné par un sous-marin marchant à toute vitesse à 6 milles dans le NNE du Tréport. L’évacuation est ordonnée par le commandant.
Mais au cours de l’abandon, le canot tribord, maladroitement mis à l’eau, chavire avec ses trois occupants. Deux d’entre eux, dont le chef mécanicien MASSE, s’accrochent à la coque et seront sauvés plus tard. Mais le troisième, le matelot RUSEBOT disparaît.
Le reste de l’équipage prend place dans le canot bâbord, du second Biovir. Le canot est amarré par une bosse le long du vapeur.
C’est alors que la machine est remise en route, sans ordre, par le chauffeur LE PAPE. Ce dernier était connu comme étant un mauvais sujet très indiscipliné. Il avait affirmé à ses camarades qu’il ne quitterait pas le navire en les invectivant de façon très injurieuse.
La décharge d’eau de réfrigération fonctionnant à nouveau, elle commence à remplir le canot, tandis que le sous-marin, qui avait cessé son tir pendant l’évacuation, ouvre à nouveau le feu en voyant le navire prendre de l’erre.
Le second perd son sang froid et menace de couper la bosse si le capitaine, toujours à bord, ne descend pas immédiatement dans le canot. Il fait pression sur lui pour qu’il quitte le navire en y abandonnant le chauffeur Le Pape.
Le capitaine se résoud alors à descendre dans le canot. Celui-ci s’éloigna après avoir récupéré les deux hommes accrochés à la baleinière tribord. L’ELORN continua à avancer en décrivant un cercle, comme si son appareil à gouverner était bloqué, puis sombra vers 17h00 sous l’effet de la canonnade, entraînant avec lui le chauffeur Le Pape. Il y eût donc deux victimes.
Les naufragés, recueillis à 17h30 par le vapeur LUCIENNE, furent déposés à Dieppe.
La commission d’enquête infligera un blâme sévère au capitaine au cabotage Hars pour n’avoir pas quitté son navire le dernier, ainsi qu’au capitaine au long cours Biovir pour n’avoir pas secondé son commandant afin d’embarquer de force le chauffeur Le Pape. Elle leur laissera toutefois la faculté de commander.
16h35 ELISE II 47,75 tx Chalutier à vapeur armé à Boulogne. Armateur Mr Coffre, de Calais
Patron Jules LERMET
Le vapeur est en pêche, avec son chalut à l’eau, lorsqu’il est attaqué à 8 milles au N32W de Cayeux par un sous-marin. Le sous-marin arbore un pavillon allemand très sale. Il possède un seul périscope et une peinture gris foncé, très vieille.
Il tire six coups de canon, à raison d’un toute les trois minutes, avant l’abandon du chalutier qui vire aussitôt son chalut, puis fait tout d’abord route sur la terre.
Après l’abandon, il coulera l’ELISE II avec un 7e obus qui percera la coque et la chaudière. Avant que le navire ne coule, la vapeur s’échappait par la claire-voie machine.
L’équipage est sauvé et regagne Cayeux en canot.
17h00 GENERAL RADIGUET 24 tx voilier de pêche immatriculé 2414B
Patron Victor MORIN . Coulé à 2 milles dans le NNW de Cagneux en même temps que le JOSEPH ADOLPHINE. Rapport fait par le patron du JOSEPH ADOLPHINE.
17h00 JOSEPH ADOLPHINE 21 tx voilier de pêche immatriculé 2693B
Patron Adolf RIVET
Coulé en même temps que le précédent.
Ces deux navires sont à 2’ dans le NNW de Cagneux lorsqu’un sous-marin tire trois coups de canon pour les faire stopper et s’approche d’eux.
Le patron fait évacuer son navire et le sous-marin lui demande d’approcher. Il accoste le sous-marin et un marin allemand monte à bord avec une bombe qu’il va poser sur le GENERAL RADIGUET. Puis le canot revient au sous-marin et le marin prend une deuxième bombe qu’il va poser sur le JOSEPH ADOLPHINE.
Ensuite, le canot s’écarte et les explosions coulent les deux navires. Le canot entre à Cayeux deux heures plus tard.
La commission d’enquête estime qu’il n’y a rien à reprocher aux deux patrons.
Le patron Rivet déclare que deux officiers ont sorti la tête en dehors du blockhaus. L’un était un officier à quatre galons ( ?) et l’autre un officier à deux galons. Tous deux paraissaient assez jeunes, environ 30 ans. Huit hommes d’équipage, dont deux canonniers se trouvaient sur le pont du sous-marin. Tous ces marins paraissaient extrêmement jeunes et portaient des vareuses en molleton et des pantalons de laine.
(nota : cette information pourrait faire penser qu’à bord du sous-marin se trouvait alors un capitaine de corvette, peut-être commandant de flottille en inspection ?)
Nous arrivons donc à 12 navires dont 1 caboteur.
Le treizième navire coulé ce jour-là est le pêcheur belge DIAMOND CROSS (29 tx).
Enfin, le même jour, deux gros navires anglais seront touchés par des mines larguées précédemment par ce même sous-marin.
Ce sont le navire hôpital GLENART CASTLE 6824 tx qui sera endommagé, et le paquebot DRINA 11843 tx qui sera coulé alors qu’il effectuait une traversée Buenos Aires-Liverpool.
Quinze navires en une seule journée pour un seul sous-marin doit constituer un record inégalé (A vérifier)
Le sous-marin attaquant
C’était l’UC 65 du KL Otto STEINBRINCK.
Nous avons déjà rencontré ce sous-marinier à plusieurs reprises alors qu’il commandait l’UB 18. (Voir sa photo au sujet MARECHAL DE VILLARS)
Voici divers dessins effectuées par les marins de navires coulés ce jour-là.
Par les marins d'ELISE II
Par les marins de JOSEPH ADOLPHINE
Mais on trouve aussi dans ce dossier un croquis, d’ailleurs fort bien effectué par l’équipage, du sous-marin qui a coulé le trois-mâts norvégien NORMA, le 1er Mars 1917. Ce dessin a été communiqué aux Autorités par l’attaché naval à Bergen, sans doute pour permettre de comparer avec les autres dessins. On peut donc supposer que le NORMA avait été coulé dans la même zone.
Or aucun trois-mâts de ce nom ne figure dans la liste des voiliers coulés ce jour-là, ni par l’UC 65, ni par un autre sous-marin ?
Il y a là matière à une petite enquête…;)
Cdlt
